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"Ce qui compte dans le jeu ce n'est pas le personnage, mais ses relations"

Utiliser le jeu pour mener des thérapies avec des enfants : l’idée est aussi vieille que les maisons de poupées. Remplacer les figurines par un jeu vidéo constitue, en revanche, un pas plus récent. Au début des années 2000, le psychologue et psychanalyste Michaël Stora a tenté l’aventure au centre médico-psychologique de Pantin (93), où il travaillait auprès de jeunes patients. Parmi les jeux utilisés, Les Sims. Quoi de mieux pour exprimer les problèmes du réel que le virtuel aseptisé des avatars ? L'exemple a prouvé que le jeu vidéo pouvait avoir sa place dans un cabinet, tout en révélant la spécificité des Sims vis-à-vis du réel et de la simulation.

Michaël STORA

Psychologue, psychanalyste

 

Co-fondateur de l'OMNSH

Auteur de Les écrans, ça rend accro...

Co-auteur de L'enfant au risque du virtuel

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Soigner par le jeu ?

 

Dans le cas d’une thérapie avec des enfants, le fait d’utiliser un jeu vidéo va permettre au thérapeute d’entrer en communication avec l’enfant par une voie détournée. S’agit-il alors simplement de diagnostiquer la souffrance psychique du jeune patient, ou d’agir pour la soigner ? « Ce que le patient ne parvient pas à me dire, il va l’exprimer par le jeu. Il y a des situations dans lesquelles le patient répète sa névrose dans le jeu. » Mais, relève Michaël Stora, « encore faut-il comprendre ce qu’il veut dire ». Le jeu Les Sims offre une panoplie d’interactions plus grande qu’une traditionnelle maison de poupées. « Ce qui m’intéresse dans le jeu vidéo c’est qu’il y a un programmeur, ce que j’appelle un ‘père programmeur’. Il met des bâtons dans les roues au joueur», souligne le psychologue. Par ce biais, l’enfant va être confronté à des situations qu’il n’aurait pas créées lui-même en utilisant ses propres figurines et sa propre histoire.

 

 

 

 

 

 

 

 

‘J’aimerais bien réessayer le jeu’ », raconte Michaël Stora. « En une séance, elle a réussi tous les objectifs. Parce qu’elle avait accepté dans la vraie vie les défis qui existent dans le jeu. »

Soigner par le jeu ?

« Le patient répète sa névrose dans le jeu. »

Quant à savoir si le jeu diagnostique ou soigne, il permet donc « les deux » d’après le psychanalsyte, en aidant le thérapeute à comprendre et en lui donnant des outils pour interagir avec l’enfant. Le jeu devient, au final, un espace supplémentaire d’échange avec le patient, sans pour autant remplacer celui de la parole, toujours nécessaire. Michaël Stora se souvient ainsi d’une petite fille ne parvenant à réussir aucun objectif du jeu. Le psychologue lui avait alors proposé d’abandonner la manette pour revenir à un temps de discussion plus classique. « Un jour, après plusieurs séances, elle m’a dit :

Incarner une relation

 

« Certains enfants n’ont pas cette capacité à jouer avec les jouets classiques », explique le spécialiste. « Il faut donc trouver une ruse qui permet de viser à côté, ce que le jeu va permettre. Que ce soit par un jeu vidéo ou une petite maison avec des personnages, en fin de compte on va repérer des manières d’agir. Qu’est-ce qui fait que je vais créer une maison avec papa d’un côté et maman de l’autre ? Qu’est-ce qui fait que je vais mettre ça en scène ? ». Michaël Stora n’utilisait pas n’importe quelle version du jeu. Les défis auxquels étaient confrontés les enfants étaient ceux du jeu scénarisé « Vivre sa vie », un mode disponible dans Les Sims sur console. Dans cette histoire prédéfinie, le joueur incarne un adolescent Sim dont la mission est de quitter sa  mère. Une mère qui est maltraitante, en dépression. Dans ce scénario, « il n’y a qu’un seul lit dans la maison », raconte le psychologue. « Au fil des missions, il faut avoir un niveau d’amour suffisant pour dormir dans le même lit qu’elle. Ca va loin », conclut Michaël Stora.

 

Cette représentation d’un conflit entre une mère et son enfant rappelle naturellement le complexe d’Œdipe. Et permet d’aller loin dans la projection des relations. « J’ai vu comment les enfants, dans leur manière de jouer, évitaient ou, au contraire, surinvestissaient la relation à la mère », raconte Michaël Stora. Sans compter que, dans le jeu, « il est possible d’incarner la mère, sauf qu’on ne peut pas lui faire faire ce que l’on veut ». « Certains enfants faisaient tout pour incarner la mère, jusqu’à même tenter de la tuer », se souvient le spécialiste. Pour lui, il ne s’agit donc pas d’un « monstre », sur lequel on va « projeter beaucoup plus de choses », mais bien d’une « relation entre les avatars ». « La question de l'incarnation de soi est intéressante », souligne le psychologue, mais insiste : « Ce qui compte dans le jeu ce n'est pas le personnage, mais ses relations »

Incarner une relation

« L’espace du jeu est un espace très proche du rêve. »

Simulation freudienne
Une simulation freudienne

 

A ce scénario freudien s’ajoutent dans le jeu, d’après Michaël Stora, de nombreux concepts freudiens. Le psychanalyste prend l’exemple des jauges, qui permettent de contrôler l’état de bien-être de l’avatar Sim. « Ce sont des jauges très pulsionnelles », explique le spécialiste, en référence aux pulsions telles que définies par Freud. C’est-à-dire des besoins primaires créés par le corps et qu’il s’agit de maîtriser. Energie, faim, hygiène, petits besoins, environnement,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

valorisation pulsionnelle », autrement dit, le fait de récompenser l’assouvissement des pulsions. Un procédé qui a généralement manqué par le passé aux narcissiques et que le jeu apporte. Cet aspect freudien n’est toutefois pas l’apanage des Sims : « L’espace du jeu est un espace très proche du rêve, un rêve éveillé. »

et même la jauge de vie sociale dans certains cas, sont autant de conditions liées aux corps.

 

« Les enfants avec lesquels je jouais avaient des problématiques narcissiques », relève Michaël Stora, ce qui signifie, en psychanalyse, qu’ils « ne supportent pas les pulsions parce que c’est une contrainte ». Ces mêmes patients finissaient par surnommer le thérapeute « Monsieur Jauge » parce que, régulièrement, il leur rappelait : « Attention à ta jauge ! » Pour le psychanalyste, dans ce genre de configuration, « le jeu vidéo met en scène quelque chose d’invisible : la

Quand le virtuel prend vie

Neigborhood (2005), documentaire d'Alain Della Negra et Kaori Kinoshita

 

Quand le virtuel prend vie

 

Avec Les Sims, la proximité avec le réel semble être encore plus forte que dans d’autres jeux en raison de son objet même : la vie quotidienne. La projection dans le jeu peut être très forte, et la volonté de ressembler à la réalité mène parfois à se demander si ce n’est pas la réalité qui colle au jeu. Michaël Stora se souvient ainsi de l’exemple d’une joueuse ayant créé un personnage l’incarnant elle-même et un autre incarnant sa compagne. Dans certains cas, on peut laisser le jeu se poursuivre même lorsque l’on n'y joue pas. Les Sims vivent alors ‘leur propre vie’. « En rouvrant le jeu, elle a découvert sa compagne du monde Sim en train de draguer une autre femme », raconte le psychologue. Furieuse, elle a immédiatemment reproché à sa compagne de la tromper. « Elle lui a répondu : ‘Comment tu le sais ?’ » Pour Michaël Stora, le jeu n’a été en fait qu’un « révélateur » d'une réalité que la joueuse n’avait sans doute pas voulu voir jusqu’alors mais dont elle avait conscience en créant ses Sims.

 

Cette proximité entre réalité et virtuel s’exprime par ailleurs dans certains médias dérivés du jeu. Un réalisateur s’est ainsi amusé à demander à des joueurs de raconter la vie de leur avatar à la première personne, dans une mise en scène rappelant celle des Sims. La démarche donne un documentaire troublant rempli d’histoires absurdes menées par des avatars, et racontées par des humains qui les ont mises en scène.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Machinimas, ou court-métrages réalisés à partir d’images du jeu, ont également fasciné Michaël Stora. Des films d’horreur, des soap-opera… Une fiction inspirée d’une fiction de jeu et d’une fiction de cinéma, cela ne dépasse-t-il pas le simple univers du jeu vidéo ?

L'histoire d'Adam et Eve en Sims

Un film d'horreur en Sims

Une bande-annonce du film Titanic en Sims

Une parodie de sitcom américaine en Sims

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