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"Le jeu permet d'établir un dialogue

avec nous-même"

Pascaline LORENTZ

 

Sociologue

Auteure de la thèse La socialisation du joueur-adolescent : son voyage identitaire avec Les Sims

De 2007 à 2012, Pascaline Lorentz s’est attelée à une thèse sur l’utilisation du jeu Les Sims par les adolescents. Elle-même passionnée par le jeu et ayant expérimenté une façon de jouer particulière avec cette simulation de vie, la sociologue a interrogé des collégiens sur leurs pratiques. L’enquête a pointé l’évolution identitaire du joueur à travers un « voyage socialisateur » mis en lumière par la chercheuse. Pour elles, Les Sims forgent bel et bien l’identité.
Haud de page identité
Pourquoi choisir de travailler sur le jeu vidéo Les Sims ?

 

En 2002, j’étudiais au Québec. Comme beaucoup d’expatriés, j’y ressentais par moments un certain isolement et mes proches me manquaient. Je me suis mise à jouer aux Sims. J’ai recréé tous mes amis dans le jeu Et quand je me sentais seule, je jouais avec eux. Ca ne durait jamais très longtemps, mais cela m’apportait une forme de réconfort. Il s’est passé quelque chose avec ce jeu, et c’est pour ça que j’ai voulu l’étudier. Les Sims est un jeu hors-ligne, donc sans autre interaction que celle avec l’ordinateur. Je me suis demandé comment l’élément social peut-il être aussi prégnant dans un jeu où il n’y a rien au bout ? Par ailleurs, le jeu vidéo n’est pas très bien vu en France, et rien n’avait encore été écrit sur Les Sims.

Comment avez-vous mené votre enquête ?

 

J’ai d’abord tenté de récolter des données statistiques sur le jeu. Le seul chiffre qui circule est celui d’un public à 70% féminin, chiffre dont je n’ai jamais pu trouver la source. N’ayant obtenu aucun réponse de la part d’Electronic Arts, je me suis dit qu’il me fallait récolter moi-même des données. J’ai décidé de travailler auprès d’adolescents, car beaucoup de joueurs débutent Les Sims autour de 9 ou 10 ans. Je voulais aussi donner une dimension internationale à l’enquête. En plus d’un collège à Strasbourg (Pascaline Lorentz était rattachée à l’Université de Strasbourg, NDLR), j’ai choisi des collèges français à Moscou, en Russie, et Abu Dhabi, aux Emirats Arabes Unis. Le climat météorologique difficile de ces pays pousse davantage à l’utilisation des jeux vidéo.

 

J’ai divisé mon enquête en deux étapes. D’abord en distribuant un questionnaire de 75 questions portant sur le profil du joueur et sa façon de jouer. L’objectif était de comparer la vie réelle de l’enfant avec sa vie virtuelle et voir s’il y avait un lien de causalité. Dans une deuxième étape, j’ai organisé des entretiens en petits groupes avec les 200 élèves qui avaient rempli le questionnaire.

Pourquoi Les Sims ?
L'enquête
A l’issue de ces entretiens, avez-vous distingué une tendance quant à la pratique du jeu ?

 

Oui il y a une tendance très forte. Il existe une sorte de « voyage identitaire », comme je l’ai appelé, que font les joueurs des Sims. Il se compose de cinq étapes :

 

  • la simulation : je commence à jouer, je me crée moi-même

  • l’anticipation : je commence à rêver en m’achetant une grosse maison, en m’incarnant plus mince que je ne suis…

  • l’expérimentation : j’essaie. Je vais essayer de lui trouver un compagnon, des amis… En fonction de ce que cela donne, on découvre les conséquences

  • le détournement : j’apprend à utiliser ces phénomènes. C’est le cas avec les accidents domestiques : un jour le Sim meurt parce qu’il a pris feu en cuisinant sans en avoir les compétences, on sait par la suite comment le tuer. Les mods (voir la page 'Tout connaître des Sims') permettent également de se confronter aux règles du jeu en l’adaptant à sa volonté.

  • les interdépendances : je prends conscience des conséquences de mes actions, des degrés d’interdépendances entre les éléments d’une société, et j’extrapole cette prise de conscience dans la réalité. J’ai ainsi entendu des collégiens affirmer très sérieusement : « Mais les bébés, ça prend énormément de temps », ou « La vie d’adulte, c’est pas drôle en fait ».

 

C’est l’une des découvertes de ma thèse : ce que font les enfants avec leurs Sims ne dépend pas de l’âge, comme on pourrait le croire, mais bien de la durée du jeu. En analysant les profils, on constate bien quelques différence entre filles et garçons. La carrière va intéresser davantage les garçons, tandis que les filles vont apporter énormément d’importance aux enfants. Dans la décoration de la maison, elles vont par ailleurs commencer par la salle de bains, tandis que les garçons aménageront d’abord le living-room ou le jardin. Les stéréotypes intégrés dans la vie réelle sont réinvestis dans le jeu. Mais c'est surtout l'expérience dans le jeu qui définit leurs actions.

Voyage identitaire
Pour vous, ce jeu permet donc de façonner son identité ?

 

Ce qui est formidable, c’est que c’est un jeu qui permet de grandir. Le jeu leur permet d’expérimenter. Dans la relation d’amitié, par exemple, plusieurs de ces enfants expatriés, ayant donc connu une période de solitude, m’ont expliqué avoir compris en jouant qu’ils devaient « aller vers les autres ». Les Sims leur permet également de dédramatiser : dans le jeu comme dans la vie, si une relation n’accroche pas avec quelqu’un, ce n’est pas grave, on pourra essayer avec une autre. Il est également très fréquent que les adolescents, obligés de créer des Sims adultes pour leur donner des enfants, placent ensuite les parents dans la piscine et enlèvent l’échelle pour tuer les adultes, laissant les ados tranquilles dans la maison. Cela choque généralement beaucoup les parents, mais en réalité, c’est plutôt bon signe, cela veut dire qu’ils se projettent dans l’indépendance !

Façonner son identité ?

« Le jeu  permet d'expérimenter et de dédramatiser »

Les adolescents se confrontent aux rôles d’adultes dans le jeu et les comprennent très bien. Sans pour autant oublier qu’il s’agit d’un jeu. Un des collégiens interrogés m’avait ainsi expliqué : « C’est agaçant, régulièrement, le facteur apporte les factures et il faut les payer sinon un huissier vient prendre des objets. » Il avait trouvé une solution en mettant le jeu en pause, en construisant quatre murs autour du facteur et en le laissant mourir emprisonné ! Lorsque je lui ai demandé s’il ne trouvait pas ça terrible de tuer le facteur du quartier, il m’a répondu : « Mais Madame, c’est un jeu ! »

La Mort vient chercher un Sim mort dans une piscine faute d'échelle pour sortir. Une mise en scène prisée des joueurs pour tuer leurs Sims, et des adolescents pour se séparer de leurs parents dans le jeu.

Entre simuler l’expérimentation et expérimenter, n’existe-t-il justement pas une grande différence ?

 

Ce qui est important n’est pas le réalisme, mais l’émotion que l’on ressent en jouant. Le baiser du Sim en train de draguer un autre Sim va provoquer une émotion. Elle n’aura évidemment rien à voir avec l’émotion d’un premier baiser dans la vraie vie pour ces adolescents, mais elle représentera malgré tout un événement marquant. Certains collégiens m’ont d’ailleurs dit au cours des entretiens : « Quand ils font des bébés, on voit tout ! », alors qu’évidemment, rien n’est montré. Mais pour eux, l’importance est la même.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce jeu des émotions est valable pour la majorité des jeux vidéo. Dans les first person shooter, les jeux de combat à la première personne, il s’agit de se confronter à la guerre, aux armes. Pourquoi un joueur va rechercher cela ? Là encore, il n’y a aucune comparaison entre la peur de mourir et la tentative de survivre dans un jeu par rapport à la vraie vie. L’excitation ressentie par le joueur à ce moment-là va pourtant être intense. Cette émotion est du même ordre avec Les Sims, sauf qu’elle est provoquée par des situations de la vie de tous les jours.

Simuler et expérimenter, pas différent ?

« Il y a une mise à distance vis-à-vis de l'écran »

Pour autant, il y a une mise à distance vis-à-vis de l’écran. Elle est obligatoire. Lorsque, pour la première fois, un de vos Sims meurt en raison d’une de vos actions, cela constitue un échec total. On est obligés de prendre de la distance, de se rappeler que ce n’est qu’un jeu. De cette manière, les enfants vont rendre conscient un processus qui était inconscient, celui de l’apprentissage. C’est le cas, par exemple, lorsqu’ils entrent dans les schémas parentaux appliqués dans le jeu. Ils savent très bien comment ils fonctionnent, alors même qu’ils ont le rôle des enfants dans la vie. Cela est d’ailleurs généralement une preuve de leur maturité.

What some happy tennis students say:  
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