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Un concept qui pousse à l'addiction ?

 

Polémique courante au sujet des jeux vidéo : le risque de l’addiction à cette pratique. Pascaline Lorentz rappelle que « le phénomène d’addiction aux jeux vidéo n’a jamais été clairement établi », mais de nombreux spécialistes ont pointé du doigt Les Sims comme étant un jeu d’autant plus addictif qu’il est différent des autres.

 

Le jeu Les Sims a en effet poursuivi le concept né avec SimCity : celui du jeu dans lequel on ne peut perdre ou gagner (voir La naissance des Sims). Un modèle de jeu particulièrement addictif, d’après certains spécialistes. Ted Friedman, spécialiste des études culturelles et des nouveaux médias à l’université de Géorgie (États-Unis) a expliqué ce phénomène en prenant l’exemple de SimCity.

 

« Jouer à SimCity constitue une expérience très différente de celle d'un jeu d’aventure », analysait le spécialiste. « L’interaction entre le joueur et l’ordinateur est constante et intense. Le gameplay est un flux continu -il peut être très difficile d’arrêter, car vous êtes toujours au milieu de douzaines de projets différents. » Ces projets vont de construire et gérer la ville dans SimCity, à maintenir dans un bon état d’esprit ses avatars dans Les Sims, le tout face à des défis posés par l’ordinateur. « Au final, il est facile de tomber dans une routine avec absolument aucun temps mort, aucune interruption de cette communion complète avec l’ordinateur. Le jeu peut devenir tellement absorbant que votre sens du temps est modifié. »

 

La conscience des actions menées et de son propre état d'esprit n'existe pas ou peu pendant ces longues périodes de jeu. Le joueur exécute des gestes virtuels commandés par l’ordinateur, se laissant entraîner dans le jeu pendant des heures, oubliant sa propre réalité. A tel point que « l’ordinateur finit par être perçu comme une extension organique de votre conscience, et vous pouvez vous sentir comme une extension de l’ordinateur lui-même ».

 

Ce sentiment de prolongement dans l’ordinateur est plus ou moins ouvertement exprimé par les joueurs interrogés dans ce projet. La jeune Clémence cite ainsi le risque d’addiction comme le principal point négatif du jeu. Laurine, quant à elle, confie être frustrée de sa lassitude face aux Sims lorsqu’elle ne trouve plus d’inspiration, alors qu’elle souhaiterait pouvoir continuer à jouer. Ce qui la pousse à alterner entre les versions.

Si les Sims peuvent agir sur le réel à titre individuel, ils sont également régulièrement  accusés  d'influencer nos sociétés. Modèle américain,  idéologie consumériste... Les Sims cristallise certaines critiques adressées à d'autres jeux vidéo, là encore parce qu'il s'agit d'un jeu qui entend reproduire le réel. Et donc, potentiellement, qui peut influencer notre façon de le percevoir. Idéologie ou pas, le débat n'est pas tranché. Le simple fait qu'il existe montre toutefois à quel point l'espace d'influence de ce jeu dépasse le cadre de l'écran.

Les Sims façonneurs de l'esprit

Un concept qui pousse à l'addiction ?
Modèle américain et consumériste

 

Bien plus que l’addiction, l’idée d’un modèle de société véhiculé dans le jeu constitue la principale critique adressée aux Sims. Cette accusation, apparue rapidement après la naissance du jeu, continue d’entourer les sorties des différentes versions du jeu au-delà des frontières. En France, tout récemment, le Nouveau Parti Anticapitaliste a réalisé un dossier autour du capitalisme dans le jeu vidéo reprenant les reproches adressés aux Sims sur ce point. Le jeu est basé sur un modèle consumériste : « le bonheur de vos personnages ne croît que si ceux-ci accumulent sans cesse des richesses toujours croissantes ».

 

Dans le jeu, en effet, plus un objet est cher, plus son utilisation est simple et apporte des points de bien-être aux Sims. Cela a des effets sur son bien-être, mais aussi sur ses relations : plus un invité sera bien accueilli et aura de quoi se nourrir, se distraire, plus il échangera de manière positive avec votre Sim. « Il semble visiblement inconcevable à Maxis, l’éditeur de ce jeu, que certains Sims puissent aspirer à plus de sobriété ou préfèrent le pratique et l’utile au superflu, voire même puissent être altruistes et faire des dons à leurs voisins moins fortunés lorsque ceux-ci finissent au chômage... », pointent les auteurs du dossier.

 

Pourtant, plusieurs voix, à commencer par celle du concepteur Will Wright, évoquent la critique masquée de ce modèle qui existerait dans le jeu. Les descriptifs d’objets reprennent ainsi le ton des catalogues d’ameublement tout en soulignant « le mauvais goût » de cette table hors de prix, la qualité médiocre de cet objet, le tout dans un style caricaturant les publicités et la logique commerciale.

 

Pour Pascaline Lorentz, cette question n’apparaît pas cruciale. « A 10 ou 11 ans, lorsque les enfants commencent à jouer au jeu, ils sont déjà baignés dans un modèle consumériste. Ce n'est pas le jeu qui va façonner leur esprit sur le plan politique. » Quant à Michaël Stora, il met en garde contre l'idée d'un jeu vidéo « à vocation éducative », rappelant que Les Sims n'est pas un « pas un serious game ». « J’ai fait ce qu’on appelle du serious gaming, c’est à dire utiliser un jeu existant comme un outil éducatif. Mais en-dehors de cela, ce qui fait qu’un jeu est un jeu, c’est que c’est fun ! »

Modèle américain et consumériste
Anticonformisme de façade ou transgression réelle ?

 

D’autres critiques, enfin, pointent le caractère lisse et puritain du jeu, hérité de la culture américaine. La joueuse Amélie évoque d’ailleurs « les restrictions posées par EA Games » : « Il ne faut rien de trop politique, rien de trop osé, rien de trop choquant… », même si la jeune femme estime que ces caractéristiques sont aussi liées au caractère « tout public » du jeu.

 

Le puritanisme simien, Michaël Stora n’y croit pas. « Les Sims met en scène un environnement qui fait penser, au départ, à un environnement très américain, très carré, très protestant, très puritain. En réalité, on découvre que derrière la façade, c’est plutôt comme Desperate Housewives : derrière l’apparence, on trouve la transgression totale. » Pour le psychanalyste, « Les Sims est un jeu dans lequel il est énormément possible de transgresser. D’ailleurs, le concepteur du jeu, Will Wright, avait une mère issue d’un milieu artistique, bien loin du puritanisme américain. »

 

En revanche le chercheur Miguel Sicart, enseignant à l’université de Coppenhague, au Danemark, et spécialiste des études du jeu (« game studies »), considère au contraire que l’anticonformisme ou le progressisme affichés du jeu servent uniquement le parti pris idéologique du jeu. Prenant l’exemple de l’absence de discrimination entre hommes et femmes dans la recherche de travail, il estime que le jeu « va un pas plus loin que la société qu’il simule ». Le jeu intègre une égalité parfaite entre les individus et laisse un Sim avec davantage de difficultés, comme une mère célibataire, parvenir au même point qu’un homme seul. « Les Sims, donc, semble être un jeu qui simule l’utopie parfaite de sociétés fonctionnant dans le capitalisme tardif », conclut le chercheur, qui répète la même analyse en prenant l’exemple de l’homosexualité, complètement intégrée au jeu. Selon lui, ces aspects progressistes valorisent un idéal capitaliste. Une thèse également défendue par le chercheur canadien A. Brady Curlew.

 

Miguel Sicart démontre par ailleurs à quel point le jeu transmet une idée précise de 'comment bien mener sa vie'. En créant le personnage de Kurt Cobain, le chanteur de Nirvana, Miguel Sicart a transformé son jeu « en lutte contre le Sim »: « Il refusait de jouer de la guitare ou de regarder la TV : il voulait avoir des amis, un travail, être gentil avec sa femme, il voulait la vie que Kurt Cobain a parodié dans ses chansons ! » Une démonstration, pour le chercheur, qu’aucune réelle liberté de choix sur vie n’est laissée dans le jeu. Selon lui, il s'agit là d'une preuve que « les marginaux ne sont pas autorisés dans Les Sims, seulement les vainqueurs stéréotypés de sociétés fonctionnant dans le capitalisme tardif ».

Anticonformisme de façade ?
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